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2ème partie :

Ces « dictatus papae – décret du pape – passèrent les Alpes avec une convocation adressée au roi Henri d'avoir à comparaître devant le tribunal ecclésiastique pour se laver du reproche de simonie. La réponse arriva, alors que Grégoire, entouré de ses cardinaux, de nombreux évêques d'Italie, de France et de Bourgogne, tenait, dans la basilique du Latran, le synode de carême de 1076.

D'un pas hautain, s'avancèrent les envoyés du roi, Roland, un jeune clerc de Parme, et un fonctionnaire de la cour germanique. Sans fléchir le genou, l'ecclésiastique tendit au chef de l'Eglise une lettre de Henri IV. Impassible, Grégoire la donna à un prélat et ordonna de la lire à l'assemblée. Le prélat, tremblant d'émotion, brisa le sceau de plomb et déroula le parchemin. Le visage blême, il se mit à lire les premiers mot.

« Henri, non par usurpation, mais par sainte institution divine, roi, à Hildebrand, non pape, mais faux moine »

La voix du lecteur s'éteignit, il regarda avec consternation le pape.
- Continue et à haute voix, pour que tout le monde entende », ordonna Grégoire, sans le moindre signe d'impatience, tandis qu'une immense agitation s'emparait du synode. Le prélat fit effort pour poursuivre sa lecture :

« Ce salut, tu le dois à ta honte, toi qui n'épargnes aucune classe de l'Eglise, mais as apporté sur chacune l'insulte au lieu de l'honneur et la malédiction au lieu de la bénédiction... »

Le reste continue sur ce ton d'une arrogance et d'une insolence sans mesure. Les évêques et les abbés serrent les poings de colère, bondissent de leurs sièges et se pressent autour du lecteur, dont la voix ne peut plus guère dominer les cris d'indignation. Enfin la lecture s'achève sur ces mots :

« Maudit, descends de ce siège apostolique que tu as usurpé. Qu'un autre monte sur le trône de saint Pierre, qui ne cache pas la violence sous une prétendue piété, mais prêche la pure doctrine de saint Pierre. Moi, Henri, roi par la grâce de Dieu, avec tous mes évêques, je te dis : descends, descends toi qui sera éternellement maudit. »

Ces dernières paroles sont suivies de minutes d'un silence glacé, devant l'insulte inouie faite au chef de la chrétienté. Puis s'élève un seul cri d'horreur, sorti de cent bouches. On se précipite sur les envoyés du roi. Le fonctionnaire de la cour tremble de peur, mais le clerc de Parme se dresse orgueilleusement, avec une mine glaciale, d'un geste impérieux il tend la main contre le pape et s'écrie :

«  Mon maître, le roi et tous les évêques au-delà des montagnes t'ordonnent de descendre immédiatement de ce siège usurpé. Sans leur volonté et sans la volonté de l'empereur, personne ne peut accéder à un tel honneur.

- Ton voyage hivernal à travers les Alpes me semble avoir duré plus longtemps que tu ne le pensais », répond Grégoire, en souriant. - La lettre de ton maître m'est connue depuis très longtemps. Tu apprendras peut-être avec intérêt que plusieurs évêques allemands m'ont fait savoir qu'ils avaient signé ce document sous la contrainte ; d'autres, et ils sont un certain nombre, ont rétracté avec repentir leur approbation. »

Roland changea de couleur et se mordit les lèvres. Mais il se tourna vers les cardinaux et leur cria :

- Frères, je vous invite à paraître à la prochaine Pentecôte devant le roi, pour recevoir un pape de ses mains. Celui-ci, en effet, n'est pas un pape, mais un loup dévorant . »

Il ne put en dire davantage. De tous les côtés, les membres du synode se jetèrent sur lui.

- Arrêtez le blasphémateur », s'écria le cardinal de Portos, d'une voix puissante qui domina le vacarme. Le préfet de la ville tira sa dague et se précipita sur Roland.

- Halte ! S'écria le pape au milieu du tumulte. - Ne touchez pas aux envoyés. Remettez votre épée. Je lève la séance. Demain nous poursuivrons les délibérations. »

Le jour suivant, Grégoire, petit, mince, exténué par la fièvre romaine, est assis sur son trône, mais ses yeux brillent d'un éclat fulgurant, lorsque, d'une voix nettement perceptible, dans une prière à saint Pierre, il donne sa réponse.

« Dans ma confiance en toi, saint Pierre, Prince des apôtres, au nom du Dieu tout-puissant, j'interdis au roi Henri qui, par un orgueil insensé, s'est élevé contre ton Eglise, de gouverner le royaume d'Allemagne et d'Italie, je délie tous les chrétiens du serment qu'ils ont contracté envers lui et je défends à qui que ce soit de le reconnaître comme roi. A ta place, je le lie par le lien de l'anathème, afin que tous les peuples de la terre sachent que tu es la pierre sur laquelle le Fils du Dieu vivant à bâti son Eglise, contre laquelle les portes de l'enfer ne prévaudront point. »

 

Henri est hors de lui de colère, lorsqu'il apprend à Uthrecht, pendant la semaine sainte, l'excommunication portée par le pape.

- Tu prononceras de ma part l'anathème contre cet hérétique hypocrite », ordonne-t-il à l'évêque de Toul, Pibon, qui séjourne précisément à sa cour. - Le dimanche de Pâques, tu fulmineras devant tout le peuple, à la cathédrale, l'excommunication contre lui. »

Mais pendant la nuit précédant la fête, l'évêque épouvanté d'une telle mission prit la fuite. Guillaume, l'évêque d'Utrecht, déféra à la volonté du roi.

Avec des visages contractés de fureur, les tisserands, les savetiers, les tailleurs et les marchands flamands baissent la tête, tandis que leur évêque, pendant le sermon, lance l'anathème contre le chef suprême de la chrétienté.

« Pourvu qu'il n'arrive pas malheur à notre ville », soupire un teinturier, dont le bleu indigo et le jaune safran tachent encore les mains, même en ce jour de la Résurrection.

(…)

- Il me semble qu'un orage se prépare », dit un soupirant un petit tailleur. - Il fait fameusement lourd aujourd'hui. Je vais rentrer à la maison. »

De fait, le ciel se couvre de noirs nuages qui éteignent brusquement tout l'éclat de ce jour de Pâques et le transforment peu à peu en un jaune de soufre. Puis l'orage éclatte; Les éclairs s'abattent avec un fracas sur la ville. Dans les maisons, on allume des cierges et on les dispose devant les images des saints.

« Saint Florian, protège ma maison, brûle d'autres à la place », implore le petit tailleur. Sa femme jette dans le foyer un morceau de bois bénit. De toutes les églises, les cloches sonnent pour chasser l'orage.
Tout à coup, la corne du veilleur aux incendies se fait entendre à travers la tempête, en même temps que le cri terrible « Au feu ! Au feu ! »
Avec des seaux en cuir, les bourgeois se précipitent hors de leurs maisons.
- Où y a-t-il le feu ?
- C'est la cathédrale qui brûle. Elle est en flammes.
- La cathédrale ? Voilà le jugement de Dieu », balbutient les habitants d'Utrecht, consternés.
La cathédrale n'est plus qu'un brasier. (…)
Quelques jours plus tard, l'évêque d'Utrecht mourait subitement.

(…)
Grégoire VII, qui était déjà en route pour participer à l'assemblée d'Augsbourg, se rendit dans le château fort de Canossa qui appartenait à la comtesse de Toscane, ne sachant pas encore à quoi il devait s'attendre de la part du roi qui approchait.
Au milieu des troupes qui s'accroissaient sans cess, Henri eut la tentation de braver le pape et d'en tirer vengeance par la force des armes, mais sa sage épouse bien plus âgée que lui, lui conseilla de céder pacifiquement.
Henri établit ses tentes au pied de la forteresse juchée sur un rocher à pic et demanda une entrevue à la combesse Mathilde et à Hugue, l'abbé de Cluny, qui séjournait à Canossa ; il leur afffirma son repentir et se déclara prêt à implorer le pardon du pape.
La comtesse et le moine cherchèrent à s'entremettre et conjurèrent Grégoire de recevoir le roi et de le relever de son excommunication.
- S'il dépose sa couronne entre mes mains et renonce pour toujours à régner », répondit le successeur de Pierre. - Qui me garantit qu'autrement il ne se conduira pas plus tard d'une façon pire encore ?
(…)
Le 25 janvier, par une journée glaciale et un vent de tempête, les gens du château de Canossa furent les témoins d'un étrange spectacle. Un homme, portant le cilice des pénitents et pieds nus, gravissait la montagne, faisait retentir le marteau de cuivre contre la porte et demandait l'entrée.

 

- Qui es-tu ? Demanda le soldat de garde.
- Je suis Henri, le roi d'Allemagne qui veut se jeter aux pieds du pape.
- Que la porte reste fermée » décida impitoyablement le souverain pontife.
Le lendemain matin le pénitent est là de nouveau ; il se tient, transi de froid, sous la tempête de neige, devant le château ; il supplie en pleurant qu'on lui ouvre la porte.
- Que la porte reste fermée », ordonne encore Grégoire.

Jusqu'au soir, le suppliant insiste, puis il s'en va d'un pas las. Le troisième jour revoit le même spectacle. Mathilde, l'abbé de Cluny, les cardinaux conjurent le pape de céder. Le vieil Hugue révolté de cet état d'esprit implacable profère de vives paroles contre l'ancien religieux de son monastère.
- Comment Dieu pourra-t-il te pardonner, si tu ne veux pas pardonner ? » dit-il avec une gravité enflammée. - Tu es cruel et ton coeur est dur ; tu n'es pas le doux pasteur du troupeau du Christ, mais un tyran. »

Grégoire regarda l'abbé avec douleur.
- Ne comprends-tu donc pas que c'est à cause de la miséricorde que je dois à mon troupeau que je suis obligé de rester dur », soupira-t-il avec émotion. - Puis-je laisser le loup qui n'hésitera pas à déchirer mes brebis ? »

En pleurant, la comtesse demanda grâce pour le pénitent.
- Je ne puis plus supporter de le voir se tenir pieds nus, comme un mendiant devant la porte, avec son cilice, tout couvert de neige et grelottant de froid. Laisse-le entrer, Saint-Père. Je t'en prie, laisse-le entrer. »
- Oh ! Il serait si facile de pardonner », gémit le pape – et je sais bien qu'il y a de la joie dans le ciel pour tout pécheur qui fait pénitence. (…) Allez ! Laissez-moi seul. Je vais prier.
- Oui, prie », dit le vieux moine. - Récite le Notre Père. »

Grégoire se prosterna devant le crucifix et se cacha le visage dans ses mains.
- Seigneur, dis-moi ce que je dois faire », implora-t-il avec ferveur.

Durant deux nuits, il ne dort pas, écoutant la tempête qui hurle autour du château... (…)
Tout à coup, il se rappelle qu'un jour Pierre a dû regarder de même son Maître, lorsqu'il lui demandait combien de fois il devait pardonner à son frère.
Et dans le silence, des lèvres du Sauveur ne sortent-elles pas les mêmes paroles :
- Non pas sept fois, mais soixante-dis-sept fois sept fois. Je pardonne même à ceux qui m'ont crucifié.


Alors le pape se lève, il ouvre la porte de la chambre voisine et crie à sno camérier :
- Va ouvrir la porte ».
Le pénitent entra, se prosterna aux pieds du pape et lui demanda pardon. Grégoire lui fit jurer sur l'Evangile qu'il ferait amende honorable devant les princes du royaume, que jamais il ne lèverait la main contre le pape et que, si ce dernier franchissait les Alpes, il veillerait à sa sécurité. Ensuite, il lui donna l'absolution et sa bénédiction, le serra, profondément ému, dans ses bras. Le lendemain matin, dans la chapelle du château, il lui donna le Corps du Sauveur.

 

(L'histoire continue ; une guerre civile éclatera en Allemagne, et Henri se montrera cruel envers les évêques et les prêtres qui lui résisteront.)

Plus d'informations sur Grégoire VII, premier pape couronné, sur :
http://amdg.over-blog.fr/article-le-lien-de-la-foi-79186195.html

Gregoire-VII-et-Henri-IV.jpg

Tag(s) : #Liturgie Doctrine
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